
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
ABUS SEXUELS
Église et impunité : quand le pardon devient un alibi, quand la prescription devient une bouée de sauvetage
Page publiée le 10 février 2025

Quand la justice tarde et que l’institution se mure dans le silence, le pardon devient un écran et la prescription, un refuge. Mais aucune vérité n’est éternellement enterrée, et l’heure de la responsabilité finit toujours par sonner.
La vérité éclate, les scandales s’accumulent, les victimes parlent. Et pourtant, rien ne change. L’affaire Henri Gouès, plus connu sous le nom de l’abbé Pierre, vient s’ajouter à la longue liste des révélations tragiques qui ternissent une institution censée être un guide spirituel et moral. Trente-trois accusations de violences sexuelles. Des mineures parmi les victimes. Et aujourd’hui, un non-lieu judiciaire, une prescription légale, un silence institutionnel glaçant.
Le parquet de Paris a tranché : il n’y aura ni poursuites ni enquête. L’action publique s’éteint avec la mort du présumé coupable, et les délais de prescription font office de barrière infranchissable. Ainsi fonctionne la mécanique bien huilée de l’oubli, où la justice humaine n’a pas le temps de rattraper les crimes et où l’institution ecclésiastique s’en sort bien avec des regrets creux, des formulations médiocres sur un ton presque administratif.
Ce qui me scandalise aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les crimes eux-mêmes, mais la manière dont l’Église, qui s’arroge depuis des siècles le rôle d’éducatrice morale, se cache derrière des artifices juridiques et des institutions de réparation biaisées. Si elle avait agi plus tôt, si elle avait eu le courage de la vérité, nous n’en serions pas là avec l’affaire « abbé Pierre ».
Un silence assourdissant
Le pire dans cette affaire n’est pas tant l’absence de poursuites que l’indifférence des grandes structures censées défendre les victimes. Tandis que MOUV’enfants, le mouvement fondé par Arnaud Gallais, réagit et lutte avec détermination, je constate que les organisations internes à l’Église brillent par leur silence. « Agir pour notre Église », où êtes-vous ? Comment une institution qui se prétend guide, après avoir fait un tapage médiatique avec le hashtag « sortons les poubelles », peut-elle laisser les fidèles et les victimes livrés à eux-mêmes, sans soutien, sans mots sur leur site, sans actes ? Juste des reposts sur son compte X. C’était un coup de com’, un de plus… Les victimes encore fidèles avaient de l’espoir… et toc, encore une fois, elles ont été flouées. Lamentable !
Quant à l’Instance Nationale de Reconnaissance et de Réparation (INIRR), créée en 2021 et censée être un rempart contre l’oubli, ce que je vois, ce sont des critiques cinglantes sur son fonctionnement : délais trop longs, évaluation froide et distante des préjudices, humiliation des victimes qui doivent prouver leur douleur comme des accusés prouveraient leur innocence. Comment une institution qui prêche le pardon et la justice peut-elle administrer la réparation avec autant de froideur et de bureaucratie ?
Notre Seigneur Jésus nous a appris que « la vérité rend libre » (Jean 8,32). Mais l’Église, cette même Église qui se targue d’être le corps du Christ sur terre, semble avoir pris l’habitude de maquiller cette vérité sous des couches de non-dits et de délais légaux comme une bouée de sauvetage. Il est temps d’en finir avec l’hypocrisie…
Pourquoi une prescription légale devrait-elle s’appliquer à des crimes qui ont été cachés, niés, étouffés pendant des décennies par des institutions ? Pourquoi la protection institutionnelle des coupables aurait-elle un droit d’aînesse sur la justice pour les victimes ? Quand une institution consacre autant d’efforts à empêcher la vérité d’éclater, elle ne devrait plus pouvoir se réfugier derrière le droit.
Le pardon ne peut être un alibi. La repentance ne peut être une simple posture. L’Église doit enfin apprendre à être du côté des victimes, non plus en paroles, mais en actes, sous peine de trahir définitivement ce qu’elle prétend représenter.
Moi, catholique libertaire en rupture, mais soucieux de la justice et de la dignité humaine, je ne peux plus me contenter de soupirer et de détourner le regard. Je refuserai de me taire. Si l’Église officielle refuse d’agir, si la justice humaine est entravée par des artifices légaux, alors il revient à la société civile de porter cette charge, de refuser l’oubli, de donner la parole à ceux que l’on réduit au silence.
Ce combat n’est pas celui d’une seule foi, d’une seule institution, ni même d’une seule cause. C’est une question de justice fondamentale. Une Église qui protège ses coupables plutôt que ses brebis n’a plus aucune légitimité morale. Qu’elle cesse donc de se prétendre le lieu du pardon et de la miséricorde si elle n’est pas capable d’appliquer ces valeurs aux plus vulnérables.
L’heure n’est plus aux regrets. L’heure est à la justice. Et si l’Église s’y refuse, alors on fera sans elle.
Didier Antoine